Processus de pensées, neuroscience et transhumanisme
Bienvenue dans l’Économie de la Pensée !
Billet d’opinion de Lucas Perez, CEO de Health My Project
Avènement d’un monde dominé par les processus de pensées
Les processus de pensées sont omniprésents dans notre vie quotidienne et certains vont même jusqu’à dire que nous produisons entre 60 000 et 80 000 pensées par jour. Cela étant dit, ces affirmations sont à prendre avec des pincettes car elles ne se basent pas sur une définition commune de ce qu’est la pensée. Dès lors, quantifier la pensée relèverait-il du mythe ?1
La pensée relève à la fois d’un cheminement neuronal et à la fois d’un fonctionnement inconscient. Ce fonctionnement inconscient complémentaire du fonctionnement organique génère nos émotions, nos idées et notre créativité qui façonne peu à peu le monde d’aujourd’hui et de demain. Bien qu’une étude américaine de 2017 ait réussit à retracer la formation d’une « pensée » au sein de notre cerveau2, les processus symboliques de la pensée potentialisés dans le rêve restent un champ d’étude encore peu étudié par les neurosciences.
Les neurosciences ont étudié les fonctions du sommeil sur notre état biologique tels que notre tonus musculaire au repos ou encore ses conséquences pathologiques à moyen et long-terme dans le développement de cancers et de maladies cardiovasculaires. Or, la fonction du rêve est tout aussi importante à étudier et se révélera déterminante pour appréhender la dynamique des processus de pensée de l’humain dans ses rapports à lui-même et à autrui.
Ainsi en est-il, nous sommes passés en plus de 200 ans, d’une économie basée sur la valeur productive du corps avec la prédominance des secteurs agricole et industriel à une économie centrée sur le travail de la pensée dont le secteur tertiaire en est le porte-étendard.
L’émergence au cours des 40 dernières années des technologies de l’information et de la communication semble avoir accéléré la transformation de cette économie hybridée du corps et de la pensée vers une économie exclusive de la pensée.
Nous vivons aujourd’hui dans une économie de transition où les processus de pensée se développent massivement et tendent inéluctablement vers ce que nous appelons l’Économie de la Pensée. Cette économie exclusive de la pensée n’est pas l’œuvre du progrès technologique. Elle est l’œuvre de l’humain lui-même !3
L’avenir de l’Homme se jouera-t-il dans son espace cérébral ?
Mécanique neuronale Vs Mécanique inconsciente !
Nous disions que les processus de pensées sont omniprésents dans notre vie quotidienne. Toutefois, nous pouvons nous interroger à juste titre sur ce qu’est une pensée.
Selon les neurosciences, une pensée est le produit de l’activité électrique neuronale de notre cerveau. Toutefois et bien que le cerveau soit l’organe biologique de nos pensées, le développement des émotions, de la créativité et des idées semble s’effectuer à un autre niveau.
Outre l’approche neuroscientifique étudiant le cheminement des pensées dans certaines zones du cerveau tels que le cortex préfrontal, d’autres approches en sciences humaines et sociales permettent de dire aujourd’hui que nos processus de pensées sont en grande partie inconscients. Dès le XIXe siècle, la psychanalyse et les travaux de Sigmund Freud conceptualisaient deux niveaux de fonctionnement psychique que sont les processus primaires et les processus secondaires4. Le premier fonctionnerait sous un registre irrationnel et associatif alors que le second serait déterminé selon des associations en relation avec le réel. Pour corroborer scientifiquement, ce cheminement psychique, des chercheurs de l’Université du Michigan ont élaboré le Geometrical Categorization Task, en postulant que la logique du processus primaire établit des associations sur la base d’attributs superficiels tels que des couleurs ou des formes. Les processus secondaires quant à eux, établissent des jugements de similarité basés sur une analyse contextualisée et totale d’un objet ou d’un mot5. Ces recherches et création d’outil d’analyse de la pensée relèvent davantage de la psychologie clinique et de l’étude des causes de la pensée.
Par conséquent, les neurosciences ont une approche comportementaliste dans l’étude de la pensée et des actions. Ainsi en est-il, le neuroscientifique va étudier comment l’Homme anticipe d’une milliseconde l’action qui va enclencher l’acte d’écrire, de parler ou encore de jouer d’un instrument de musique6. Il peut aussi étudier et développer en coopération avec d’autres disciplines telles que la mécatronique, des solutions fonctionnelles comme ce fut le cas en octobre 2019 avec un jeune tétraplégique qui a pu commander par la pensée une neuro-prothèse lui ayant permis de remarcher quelques mètres. Cette prouesse réalisait par une équipe de chercheurs du centre de recherche Clinatec de Grenoble renforce un peu plus les progrès dans le domaine de l’interface neuronale directe appelée aussi interface cerveau-machine7.
Le rapport entre la mécanique neuronale et la mécanique inconsciente ne doivent pas être mis en opposition. Ces deux mécaniques évoluent à des degrés et des registres différents. L’un sur le registre du conscient et l’autre sur le registre inconscient.
Le débat consistant à savoir si la pensée se situe dans le cerveau ou dans une entité psychique à part entière persistera. Quoiqu’il en soit, l’avenir de l’Homme se jouera à la fois sur le plan organique et psychique.
L’équilibre somato-psychique de l’Homme pourra être vu comme un indicateur de santé physique et mentale permettant de renseigner globalement sur la « bonne santé » d’une civilisation. Partant de ce postulat, la virtualité ou encore l’augmentation des capacités fonctionnelles et physiologiques de l’humain pourront être questionnés.
Analyse du transhumanisme au regard des processus de civilisation
Le transhumanisme est un courant de pensées et un ensemble de techniques visant à améliorer pour certains et à optimiser pour d’autres les capacités physiques et/ou cognitives de l’humain.
Ce mouvement idéologique fait l’objet de nombreux débats partagés entre la crainte et la fascination de voir un jour apparaître un surhomme rationnel et animé d’une volonté de puissance au sens Nietzschéen du terme8. Bien que décrié par certain, le transhumanisme peut être synonyme de progrès scientifique comme on a pu le constater à travers le projet Neuralink du célèbre entrepreneur californien Elon Musk. Ce dispositif d’interface homme-machine vise à coupler l’intelligence humaine à une intelligence artificielle capable d’extraire et d’induire de l’information à travers un dispositif implantable dans le cerveau. Bien que la stimulation cérébrale profonde ne soit pas une nouveauté car datant des années 1980-1990, la miniaturisation des électrodes et le traitement de l’information neuronale se perfectionnent grandement. Ainsi, l’idée d’augmenter la conscience humaine a permis un développement scientifique et une innovation de continuité potentiellement bénéfique à la civilisation et à ses sujets les plus fragiles. Ainsi en est-il des parkinsoniens pour qui la stimulation cérébrale profonde peut permettre une détection voire une action sur leurs tremblements.
A travers les recherches que mène Calico, filiale d’Alphabet Inc. (Google) sur la longévité de rats-taupes défiant les lois mathématiques9, nous pourrions voir un acte de civilisation. Acte de civilisation provenant du fait que l’humain tente de comprendre son environnement extérieur en étudiant les processus biologiques de l’animal. L’utilisation des résultats de recherche à des fins de biomimétisme interrogera quant à elle sur ses finalités.
La réussite des processus de pensées et donc de la civilisation pourrait aussi s’analyser au regard du rapport de l’Homme à la virtualité et au temps d’utilisation des produits et services connectés. Il a été prouvé que la virtualité et l’hyperconnectivité peuvent aggraver la charge mentale de l’Homme10 ce qui peut sembler problématique si l’on envisage de digitaliser l’ADN humain afin d’avoir une représentation digitale de nous-même comme le propose l’entreprise de biotechnologie chinoise ICarbonX. Nous savons aujourd’hui que l’hyperconnectivité peut être un vecteur de stress chronique qui couplée à la virtualité peut faire coexister autour de nous une réalité autre que celle qui nous entoure. Dès lors, la virtualité peut impacter la cohésion de groupe et donc la réalité construisant notre capacité à vivre en collectivité.
Analyser les réflexions et techniques transhumanistes au regard des processus de pensées revient à s’interroger et à analyser les interactions avec le corps, l’esprit et l’environnement de l’Homme. Ces analyses ne sont pas à prendre à la légère car une atteinte aux corps et aux processus de pensées risque d’être irréversible. Le corps sera-t-il atrophié en raison de sa sous-utilisation ? Le corps sera-t-il systématiquement augmenté ? Nous possédons un corps biologique et une psyché qui devront à l’avenir ne pas être négligée au profit de la connaissance technologique. Nous n’associons pas involontairement le mot « avenir » aux concepts de pensée, d’humain, d’inconscient ou encore de civilisation. De même, nous ne voulons pas créer une différence polémiste entre le mot « avenir » et les concepts de mondialisation, d’économie numérique, d’IA ou encore de transhumanisme.
Dans cette logique, l’humain semble être un point fixe et stable de l’histoire contrairement au progrès scientifique. Dès lors, les réflexions et les techniques transhumanistes devront tenir compte de la trilogie du corps, de l’esprit et des phénomènes de groupe afin de ne pas déstabiliser les processus civilisationnels passés et à venir. L’Homme sera à la fois le problème et la solution de la Nouvelle Économie !