Le rat-taupe nu : un modèle de longévité

La science aime les modèles animaux “bizarres” et le rat-taupe nu n’est pas une exception. Ce petit rongeur originaire d’Afrique subsaharienne fascine depuis de nombreuses années les chercheurs par sa surprenante longévité et sa résistance aux maladies liées à l’âge. Ne vous fiez pas à son apparence dégarnie et ridée, car cet animal est en réalité un modèle de jeunesse [1].

Le rat-taupe nu : une santé exemplaire

Avec une durée de vie maximale pouvant dépasser 30 ans (en captivité), il est le rongeur à l’existence la plus longue [2] (3 ans pour la souris grise et le rat brun). Bien que rien chez ce petit animal ne laisse apparemment présager une telle longévité, il semble néanmoins ne pas subir les effets du temps. Pas de problèmes cardiaques, osseux ni métaboliques, ces petites bêtes sont même très résistantes au cancer (seulement quelques cas rares décrits dans la littérature scientifique), une particularité qui leur a permis d’être élus “Vertébré de l’année 2013” par le magazine Science [3].

Le rat-taupe nu défie les lois du vieillissement

Quinze ans après la première description de leur incroyable longévité [4], une étude menée sur les données de plus de 3000 rats-taupes nus et publiée en janvier 2018 dans eLife [2], a rapporté que le taux de mortalité du petit animal n’augmente pas avec l’âge (1/10.000 chance de mourir par jour). Ce taux de mortalité reste très stable tout au long de leur vie. Cette découverte signifie que le rongeur serait le seul mammifère à défier la loi mathématique de Gompertz, postulant que le risque de mourir croît exponentiellement avec l’âge.

Cette révélation conduit certains chercheurs à penser que les processus de vieillissement ne touchent pas ces rongeurs, mais cette idée ne fait pas l’unanimité. D’autres scientifiques préfèrent dire qu’il est encore trop tôt pour l’affirmer [1]. Dans ce sens, il est plutôt considéré que le déclin physiologique lié à l’âge serait retardé ou atténué. Ainsi, les signes phénotypiques de vieillissement n’apparaissent que tard dans leur vie et ils vivraient 85% de leur existence sans montrer de déclin physiologique [4]. On peut néanmoins noter quelques changements physiques avec l’âge, notamment de la peau, qui paraît plus claire, moins élastique et plus fine que celle des rats-taupes jeunes [3].

LongLongLife rat-taupe nu modèle longévité

Photo by: Bob Owen

La longévité de ces rongeurs est d’autant plus surprenante qu’il s’agit d’une petite espèce (environ 40 grammes), et qu’un tel physique ne les prédestine pas à vivre aussi longtemps. En comparant avec des souris de même gabarit, le rat-taupe voit sa durée de vie multipliée par 9. Il en est de même avec le facteur “âge de la maturité sexuelle”, car vis-à-vis de celui-ci, leur durée de vie est 3 fois supérieure à celle attendue. Enfin, les femelles reproductrices de ces mammifères eusociaux (distribution sociale d’individus d’une même colonie entre animaux reproducteurs et animaux non reproducteurs) ne subissent pas de ménopause et continuent de se reproduire jusqu’à un âge très avancé [2,4].

La longévité du rat-taupe nu favorisée par le milieu de vie ?

Il est également dit que leur incroyable longévité serait favorisée par leurs conditions de vie. Ces animaux souterrains sont à l’abri de prédateurs et du climat aride de la région subsaharienne où ils vivent. Cependant, leur environnement conduit aussi à certaines carences dues à une atmosphère faible en oxygène et à des ressources nutritives limitées. Ces particularités du milieu de vie amènent les rats-taupes à développer des caractéristiques spécifiques : ils peuvent notamment survivre jusqu’à 18 minutes sans oxygène [4,5].   

La durée de vie du rat-taupe nu : une affaire interne

L’étude de certains mécanismes moléculaires chez le rat-taupe nu a permis de mettre en évidence les caractéristiques physiologiques qui permettraient d’expliquer sa résistance aux maladies liées à l’âge. Le rat-taupe présente un faible taux de mutation dans son génome qui peut s’expliquer par la faible densité de dinucléotide CpG sur lesquels interviennent les mutations d’une seule base (Single Nucleotide Polymorphism). On observe également une forte expression des gènes de réparation de l’ADN, conférant au rat-taupe une grande stabilité génomique [6].

LongLongLife rat-taupe nu modèle longévité

Conjointement, il dispose d’une grande fidélité de traduction des protéines qui pourrait s’expliquer par la structure unique de leur ARN ribosomique. En parallèle, leurs protéasomes, les poubelles de nos cellules, sont boostés et l’autophagie est également activée, empêchant de concert les protéines défectueuses d’augmenter [7,8].

Enfin, un meilleur maintien de la longueur des télomères a été constaté, permis par une forte régulation de l’expression de la télomérase et de sa sous-unité TERT (Telomerase Reverse Transcriptase) qui ne diminuerait pas avec l’âge, contrairement à l’Homme.

Ces mécanismes sont décrits comme étant responsables de la longévité des rats-taupes nus, mais ce sont aussi eux qui permettraient la résistance de ces rongeurs au cancer [4,5]. Les caractéristiques intrinsèques de ce petit mammifère menant à son extrême longévité font de lui un modèle de choix pour l’étude de mécanismes de prévention du vieillissement.

Références :

[1] Kai Kupferschmidt. Forever young? Naked mole rats may know the secret, Science 359 (6375), 506-507.

[2] J Graham Ruby, Megan Smith, Rochelle Buffenstein. Naked mole-rat mortality rates defy Gompertzian laws by not increasing with age, Ruby et al. eLife 2018;7:e31157. DOI: https://doi.org/10.7554/eLife.31157

[3] https://www.livescience.com/42245-naked-mole-rat-vertebrate-of-year.html

[4] Rochelle Buffenstein, and Jennifer U. M. Jarvis. The Naked Mole Rat – A New Record for the Oldest Living Rodent, Sci. Aging Knowl. Environ., 29 May 2002.

[5] Francisco Alejandro Lagunas-Rangela, Venice Chávez-Valencia. Learning of nature: The curious case of the naked mole rat, Mechanisms of Ageing and Development 164 (2017) 76-81.

[6] I. O. Petruseva, A. N. Evdokimov, O. I. Lavrik. Genome Stability Maintenance in Naked Mole-Rat, Acta Naturae Vol. 9 No 4 (35) 2017, 31-41.

[7] Philip Dammann. Slow aging in mammals – Lessons from African mole-rats and bats, Seminars in Cell & Developmental Biology 70 (2017) 154-163.

[8] Jorge Azpurua, Zhonghe Ke, Iris X. Chen, Quanwei Zhang, Dmitri N. Ermolenko, Zhengdong D. Zhang, Vera Gorbunova and Andrei Seluanov. Naked mole-rat has increased translational fidelity compared with the mouse, as well as a unique 28S ribosomal RNA cleavage, PNAS (October 22, 2013), vol. 110, no. 43, 17350–17355.

Anne Fischer

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Anne is studying medicine science at the Institute of Pharmaceutical and Biological Science in Lyon and she has graduated with a Bachelor’s degree in molecular and cellular biology at the University of Strasbourg.

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Anne étudie les sciences du médicament à l’Institut des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques de Lyon. Elle est titulaire d’une licence en biologie moléculaire et cellulaire de l’Université de Strasbourg.

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