Reprogrammer ses cellules de peau par thérapie génique pour mieux cicatriser
Lorsque nous vieillissons, nous cicatrisons moins bien. Peut être vous souvenez vous de plaies superficielles que vous vous êtes faites étant enfant. La guérison fut probablement plus rapides que celle de plaies plus récentes. Et le phénomène s’accentue de plus en plus avec l’âge! Il arrive que chez les personnes âgées, si la plaie est trop grande, elle ne puisse même pas se refermer. La raison? Les kératinocytes, les cellules responsables de la formation de la couche extérieure de la peau ne migrent plus à l’intérieur de la plaie pour la réparer [1]. Cependant, une étude publiée dans Nature pourrait bien apporter une solution à ce problème plus qu’handicapant. Menée au Salk Institute for Biological Studies à La Jolla en Californie, cette étude montre que l’on peut utiliser la thérapie génique pour transformer les cellules de la plaie en kératinocytes, et donc réparer la plaie de l’intérieur.
Première étape: identifier les gènes cibles pour la thérapie génique
Le principe de la thérapie génique est d’utiliser des virus pour modifier ou exprimer de nouveaux gènes à l’intérieur de cellules dans un être vivant. Mais encore faut-il savoir quels gènes utiliser! Le but des chercheurs est de trouver les gènes permettant de transformer des cellules de la plaie en kératinocytes. Pour les trouver, ils commencent par comparer les profils d’expression des gènes de ces deux types de cellules. Ils identifient alors 55 gènes comme cibles potentielles.
En poursuivant leurs analyses, ils arrivent à descendre ce nombre à 28, qu’ils décident alors de tester in-vitro. Ils font exprimer ce cocktail de gènes à des cellules analogues à celles d’une plaie ouverte, et les résultats sont au rendez-vous. Si ces cellules sont cultivées dans des conditions proches de celles de l’organisme, elles forment une structure proche de celle d’une peau normale. Mais 28 gènes c’est encore bien trop pour pouvoir envisager de réaliser une thérapie génique. Commence alors un travail laborieux ou l’expérience doit être réalisée encore et encore, en retirant chaque gène un par un pour vérifier s’il est réellement indispensable. Finalement, ce ne sont plus que 2 gènes qui sont indispensables, DNP63A et GRHL2, et deux autres qui améliorent grandement l’efficacité de la transformation, MYC et TFAP2A.
Deuxième étape: vérifier l’efficacité de la thérapie génique in-vivo
Maintenant que les chercheurs connaissent les 4 gènes qu’ils veulent faire exprimer aux cellules de la plaie, il faut encore trouver un moyen de le faire. Comme il est inconcevable de réaliser ces tests sur des humains directement, ce sont des souris qui sont choisies comme cobayes. Pour réaliser la thérapie génique par ailleurs, ce sont des adénovirus qui sont choisis comme transporteurs pour les gènes. Ceci sont considérés comme moins dangereux car leur génome ne s’incorpore pas dans celui de la cellule qu’ils infectent et ne risque donc pas de provoquer de cancer.
Les chercheurs injectent différentes doses de virus comprenant les 4 gènes d’intérêt dans une plaie cutanée chez les souris. Ils remarquent alors que pour une dose suffisante de virus injectés, une nouvelle peau se reformait à la place de la plaie après 28 jours. En l’analysant, ils découvrent que celle-ci provient bien de cellules de la plaie transformées en kératinocytes par les virus. De plus, cette nouvelle peau partage les même propriétés qu’une peau normale. L’expérience est un succès.
Dernière étape: vérifier que cette thérapie génique n’est pas dangereuse
La thérapie génique fonctionne donc pour permettre la guérison des plaies, mais est elle pourrait comporter des risques pour plusieurs raisons. La première est que les virus peuvent infecter et transformer d’autres cellules de l’organisme, ce qui pourrait s’avérer dangereux. En observant les souris traitées par thérapie génique, ils observent que les virus ont à la fois touché le site d’injection comme voulu, mais aussi leur foie. Bien qu’après dissection ils n’observent aucun effet délétère sur ceux-ci, ils décident tout de même d’être plus prudents. Ils choisissent alors de remplacer l’injection des virus par une administration par hydrogel sur le site de la plaie. Ceci leur permet également d’y incorporer des facteurs de croissance sensé booster la guérison. Une fois de plus, l’expérience est un succès. Le foie des souris est moins touché et la cicatrisation est encore plus rapide.
La deuxième source de danger vient de la reprogrammation des cellules de la plaie. Elle peut en effet dans certains cas causer la formation de cellules capable de former des tumeurs. Pour vérifier que ce n’est pas le cas de leurs cellules reprogrammées, les chercheurs procèdent à l’expérience suivante. Ils injectent dans des souris dépourvues de système immunitaire soit leurs cellules reprogrammées, soit des kératinocytes normaux, soit des cellules souches embryonnaires connues pour former des cancers dans ces conditions, soit des cellules cancéreuses humaines. Ils observent alors que comme prévu, les cellules souches embryonnaires et les cellules cancéreuses forment des tumeurs. Par contre, leur cellules reprogrammées, tout comme les kératinocytes normaux, n’en forment pas. Ils peuvent donc en conclure que leur thérapie génique ne représente apparemment pas de danger.
Ainsi, la thérapie génique pourrait être la solution aux problèmes de cicatrisation dus à l’âge. Comme nous venons de le voir, elle serait même à la fois très efficace et sans danger. De quoi espérer que la recherche nous ait une fois de plus permis d’éradiquer une des conséquences du vieillissement dans un futur proche!
Références:
[1] Gurtner, G. C., Werner, S., Barrandon, Y. & Longaker, M. T. Wound repair and regeneration. Nature 453, 314–321 (2008).
[2] Kurita, M., Araoka, T., Hishida, T., O’Keefe, D. D., Takahashi, Y., Sakamoto, A., … & Hernandez-Benitez, R. (2018). In vivo reprogramming of wound-resident cells generates skin epithelial tissue. Nature, 1.