Série Arte – Ad Vitam, transhumanisme, immortalité : et si c’était possible ?
Un monde où l’immortalité est possible : c’est le décor transhumaniste de la série Ad Vitam, sur Arte. Réalisée par Thomas Cailley et portée par Yvan Attal et Garance Marillier, ses 6 épisodes ont été diffusés en France sur la chaîne Arte, et en streaming sur le site d’Arte fin 2018.
La série nous fait suivre une enquête policière ; dans un monde où la mort a presque disparu, on retrouve une poignée d’adolescents suicidés. L’acte révolte, angoisse, et on assigne à l’enquête Darius, inspecteur de 119 ans chargé d’investiguer un épisode similaire survenu dix ans plus tôt. Pour retrouver les terroristes derrière ces suicides, il fera sortir de son internement Christa, 24 ans, rescapée du suicide collectif sur lequel il a enquêté.
Ad Vitam sur Arte : une société sans vieillesse
Vous vous attendez à une série sur l’immortalité qui parle de la vie ? Nous sommes ici dans la dystopie ; pour composer l’histoire, on part d’éléments scientifiques (la possibilité d’anéantir le vieillissement, sérieusement envisagée par le transhumanisme actuel) pour en tirer une fiction qui va en explorer les limites.
Ainsi, plutôt que de parler de vie, Ad Vitam nous parle de mort, et son traitement fait écho à ce que la mort est devenue dans nos sociétés où l’espérance de vie moyenne est de 80 ans : nous y sommes de moins en moins confrontés au quotidien. Dans la série, cela s’étend également à la fragilité et à la faiblesse — les personnages peuvent se plonger dans un bain régénérant pour retrouver la santé de leurs 30 ans à l’envi. Plus de vieillesse, plus de maladies, reste à présent à explorer la réaction de l’humanité à ce nouvel état de fait.
Car si dans la science-fiction, la science est bien prétexte à la fiction, dans Ad Vitam c’est pour nous parler du sens de l’existence. Ainsi, tout dans l’univers de la série tourne autour de cette régénération qui pourtant a été mise en place un siècle auparavant et dont la place centrale dans la vie de la société n’a rien à envier à celle des vaccins ou des antibiotiques.
Ad Vitam sur Arte : le décor transhumaniste
Puisqu’il s’agit d’une fiction, elle s’applique à romancer l’intrigue, plutôt qu’à explorer les interactions entre des sujets interdépendants. Le décor de la série effleure à peine la question de l’écologie, de l’économie et de la politique dans un monde où chacun peut rester jeune. Le pays, qui n’est pas nommé, semble avoir fermé ses frontières, tous les citoyens vivent dans un certain confort matériel, et la question de la surpopulation ne survient que lorsqu’il s’agit de contrôler les naissances et partager le territoire — on rase d’ailleurs les cimetières, et quelques rares îlots inhabités sont en passe de disparaître.
Ces incohérences assimilables à des raccourcis de scénario permettent de se concentrer sur la question centrale qui sous-tend la série : qu’est-ce qu’une vie sans la mort ?
Ad vitam sur Arte : immortalité… ou amortalité ?
L’immortalité n’est pas à confondre avec l’amortalité, on meurt toujours et notamment d’accident, mais l’existence de ce choix clive la société en deux : d’un côté, ceux qui ont recours à la régénération et peuvent vivre tant qu’ils le souhaitent, au point d’oublier que cela pourrait s’arrêter ; les couloirs du commissariat sont hantés par un homme, ange de la mort, dont le métier est d’annoncer les décès à des proches qui peinent à en concevoir l’idée.
De l’autre côté, une frange rebelle de la société qui ne veut pas (ou ne peut pas, notamment à cause d’une trop mauvaise santé pendant leurs jeunes années) avoir recours à la régénération. Ces gens fascinent, ils vieillissement, ils répugnent. Ils s’accompagnent à l’heure de leur mort, et célèbrent les décès avec de grandes fêtes. Ils forment une secte, car vieillir n’est plus socialement acceptable.
Personne ne comprend qu’ils puissent choisir la vieillesse et ses maux, si bien qu’ils sont les premiers suspects de l’enquête antiterroriste qui cherche à mettre fin aux suicides de jeunes. On peut regretter un traitement manichéen de ces personnages, qui célèbrent la vie et sont pour cela les parias de la société, et que le scénario s’applique à nous rendre sympathiques. Cela suffit-il pour s’identifier à eux ?
Ad Vitam sur Arte : quelle place pour la jeunesse en l’absence de vieillesse ?
Ce que la série aime explorer, c’est la place des jeunes dans une société où on ne vieillit pas, car les jeunes, eux, grandissent. On a repoussé à 30 ans l’âge de la majorité, car c’est l’âge auquel le corps devient assez mature pour supporter le processus de régénération. Cependant, cette jeunesse traditionnellement contestataire est pleine de rancœur d’être encore qualifiée d’immature, de « mineure » pendant ce qui lui semble être une éternité, et plus le temps passe, plus le fossé se creuse entre des régénérés de plus d’un siècle et une jeunesse bouillonnante dont la perspective est radicalement opposée à celle des anciens. Les adultes s’éloignent de ces éternels enfants qu’ils ne comprennent plus, tandis que les jeunes rechignent à rejoindre les rangs d’une société qui ne veut pas d’eux. On peut y lire ici aussi, sans trop de subtilité, la cristallisation d’un problème qui touche déjà nos sociétés mais que la série se borne à observer, exploiter, plutôt qu’à résoudre.
Ainsi, la question essentielle demeure : vivre, qu’est-ce que c’est ? Comment vit-on sans date de péremption pour donner de la valeur à notre existence ? Dans Ad Vitam, les personnages enchaînent ainsi plusieurs métiers, plusieurs mariages, plusieurs vies, à l’aide notamment de coachs de reconversion. La plupart semblent éteints. Soit ils se sont accommodés d’une existence répétitive, soit ils sont en quête de sens, un sens qu’ils recherchent parfois à travers la parentalité, avec des résultats mitigés.
Ad Vitam et les problématiques de l’immortalité
Les fictions d’anticipation nous mettent face aux problématiques potentielles du futur. Elles nous permettent de mieux nous y préparer. Plutôt que de regarder ces fictions comme des prophéties, on peut y voir des opportunités de réflexion pour développer les meilleurs systèmes possible.
Immortalité et surpopulation
C’est notamment le cas pour la question de la surpopulation. Si cet écueil nous vient à l’esprit en premier, c’est parce que ce défi n’est plus situé dans notre avenir lointain : il fait partie intégrante de notre présent depuis plusieurs décennies. La durée de vie moyenne a augmenté lors du XXe siècle à travers le globe, et nos sociétés sont confrontées à des problématiques de surpopulation. En étudiant la pyramide des âges dans les différents pays du globe, on constate cependant un phénomène d’autorégulation : les populations en meilleure santé, celles qui vivent plus longtemps, font moins d’enfants, pour des raisons que l’on peut supposer socioculturelles (de plus longues études, un meilleur accès à la contraception et à l’information de santé, moins besoin de se reposer sur l’assistance financière de ses enfants une fois la retraite arrivée…)
Aujourd’hui, un écart demeure entre les pays développés et les pays en voie de développement, mais tout porte à penser qu’une fois industrialisés, les pays qui actuellement rattrapent l’Occident (comme désormais bientôt l’Inde) en termes de technologie adopteront les mêmes pratiques sociétales, ce qui aboutirait à une baisse généralisée des naissances et pourrait permettre de réguler la population.
Immortalité et végétarisme
Ce phénomène a déjà été observé en Europe avec la consommation de viande. La viande, autrefois très rare à la table des gens du peuple, est devenue un signe extérieur de richesse et pilier de notre alimentation depuis le début de l’ère industrielle. Pourtant, face aux enjeux écologiques posés par l’élevage intensif et à l’évolution des modes de vie (on a moins besoin d’apports rapides en protéines animales quand on passe sa journée assis dans un bureau), les sociétés européennes évoluent graduellement en direction d’une alimentation plus pauvre en produits d’origine animale, et se tournent vers des alternatives : en bref, nous adaptons nos modes de vie à nos sociétés.
Car avec l’allongement de la vie en bonne santé, pour maintenir l’équilibre de la société, tout l’enjeu repose dans l’adaptation des habitudes de vie de chacun afin de garantir une société stable et solide.
Immortalité, économie et travail
Une vie radicalement plus longue pour toute la population imposerait donc de repenser en partie l’organisation de nos sociétés. Ce serait le cas de l’organisation du travail : quel prix accorde-t-on à une vie ?
Est-ce qu’elle a davantage de valeur parce qu’elle est plus longue et qu’on cherche à moins la gaspiller, à davantage en profiter ? Ou serions-nous prêts à accepter des temps de servitude plus longs comme c’est aujourd’hui le cas, avec le recul de l’âge de la retraite — et si on reste en bonne santé, quand prend-on le temps de vivre plutôt que de travailler ?
Pour ceux qui se réalisent dans leur travail, c’est également la possibilité de continuer à s’y perfectionner, et ainsi, les éléments les plus brillants de la société pourraient continuer à lui faire profiter de leurs découvertes, leurs inventions, de leur art.
Adapterait-on le temps de travail afin de profiter de sa vie ? Utiliserait-on la technologie qui sera alors à notre disposition pour se décharger des tâches ingrates, et créer une valeur et du temps que chacun pourra ensuite réinvestir afin de s’épanouir dans la longue vie qui l’attend ?
Immortalité et écologie
Quid également de la transition écologique ? Avec le dérèglement climatique avéré que nous vivons, une espérance de vie plus longue pourrait faire prendre conscience des défis environnementaux qui attendent l’humanité à ceux qui ne se sentent pas concernés par la question ; peut-être verrait-on un plus grand enthousiasme pour prendre soin des ressources qui permettent à l’humanité d’exister.
Ad Vitam sur Arte, une bonne série française
Ces changements ne se produiront pas d’un coup sec ; comme pour la baisse de natalité des pays riches, ils seront graduels, et ce sera à la société entière de trancher.
Il est dommage que Ad Vitam ne fasse qu’effleurer ces questions ; avec son univers séduisant et son très bon casting, cette série avait le potentiel d’explorer en profondeur la question de l’allongement de la durée de vie et de ses impacts concrets sur la société. Elle demeure une œuvre de science-fiction, une dystopie qui ne verse ni dans l’anticipation ni dans le potentiel docu-fiction.
Pour autant, son atmosphère saisissante vaut le détour, et en attendant le futur où nous aurons enfin la possibilité de vivre aussi longtemps qu’on le souhaitera, Ad Vitam reste une bonne série française à binger les soirs d’hiver.
Dr Guilhem Velvé Casquillas
Author/Reviewer
Auteur/Relecteur
Physics PhD, CEO NBIC Valley, CEO Long Long Life, CEO Elvesys Microfluidic Innovation Center
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Docteur en physique, CEO NBIC Valley, CEO Long Long Life, CEO Elvesys Microfluidic Innovation Center
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