Transhumanistes versés dans la lutte anti-vieillissement : faut-il lire « Une vie sans fin », le nouveau roman de Frédéric Beigbeder?
De la « science non-fiction »
Pour le transhumanisme anti-vieillissement francophone, l’année 2018 s’est ouverte sur la publication du nouveau roman de Frédéric Beigbeder, « Une vie sans fin », où son héros homonyme se prend d’une passion soudaine pour la science de la longévité. Quinquagénaire célèbre et fortuné en proie à une soudaine terreur de la mort, le narrateur parcourt la planète, d’expert en expert, de thérapie en thérapie, singulariste convaincu, dans le but assumé de tuer la mort.
N’en déplaise à nos amis transhumanistes, il s’agit bel et bien d’un roman et nullement d’un guide pratique, malgré l’avertissement d’ouverture qui promet un ouvrage de « science non-fiction » dont tout le contenu scientifique est bien réel. Ceci a le mérite de réconcilier la quête scientifique et ses inévitables implications philosophiques : transhumaniste, peut-être, mais humain malgré tout, à travers d’abondantes réflexions centrées autour de la peur de la vieillesse, de la mort, et via la famille du narrateur, un hommage à la vie.
De la science du vieillissement
L’avertissement en préface ne ment pas : on a bel et bien affaire à des explications et des techniques qui existent et ne sortent pas tout droit de l’imagination de l’auteur.
La méthode de réjuvenation biologique centrale dans le roman qui prête le plus à débat demeure celle des transfusions de sang jeune. Or, depuis une étude publiée par l’université de Berkeley en 2016, on sait désormais que ce n’est pas si simple : pour les expériences qui ont abouti à cette conclusion, les souris, jeunes et vieilles, étaient reliées en circuit fermé – le sang d’une souris était filtré par les organes de l’autre, et vice-versa, dans un système appelé parabiose. Dans cette configuration, l’état général de la souris jeune se dégrade tandis que celui de la vieille souris s’améliore ; cependant, il est possible que cela ne soit pas dû uniquement au partage de leur sang, mais aussi à son filtrage par des organes plus ou moins jeunes. Ainsi, bien qu’il existe des cliniques américaines proposant des transfusions de sang jeune, il convient de garder à l’esprit que l’efficacité du procédé est aujourd’hui contestée.
Par ailleurs, le narrateur explore un maximum de pistes pour augmenter sa longévité : que ce soit par la prise en charge générale de sa santé à travers une batterie d’examens et des changements radicaux à son hygiène de vie, ou par des cures de rajeunissement en clinique suisse, à base de jeûne (pour stimuler l’autophagie cellulaire) et d’injections laser en intraveineuse (on peut en trouver un extrait ici). Il n’hésite pas à dépasser la simple biologie, car après avoir préservé ses cellules souches, il entreprend de sauvegarder sa conscience sur un support informatique. On peut néanmoins regretter que la part belle soit faite au sensationnel (crispérisation de l’humanité, cures à plusieurs dizaines de milliers d’euros) aux dépens des solutions médicamenteuses comme les compléments alimentaires ou les récents essais de médicaments sénolytiques.
« Une vie sans fin » inscrit le transhumanisme dans un courant mainstream
La part belle est faite aux explications de vulgarisation scientifique, à travers des invités de marque qui ont accordé des entretiens à l’auteur : Stylianos Antonarakis, Frédéric Saldmann, Yossi Buganim, André Choulika, Laurent Alexandre, Georges Church. Ces entretiens sont prétextes à des explications détaillées sur les spécialités de chacun, ce qui se révèle indéniablement instructif, avec l’avantage de nous ouvrir une fenêtre littéraire l’univers et la personnalité de chacun d’entre eux – y compris le célèbre laboratoire de Georges Church, le Church Lab.
Dans « Une vie sans fin », tous les ingrédients du roman sont idéalement dosés : explications scientifiques, réflexions philosophique, intrigue, il existe même des listes pour séparer les chapitres et laisser au lectorat le temps de respirer entre deux révélations sur le futur de l’humanité. Quand bien même vous n’auriez plus rien à apprendre sur le sujet, ce roman reste une lecture sympathique, qui permet d’ancrer le transhumanisme anti-vieillissement dans un courant plus mainstream que jamais – et vous n’hésiterez pas à le prêter à vos amis !
« Une vie sans fin », Frédéric Beigbeder, 2018, éd. Grasset, 22€