Quelles sont les méthodes de jeûne contre le vieillissement ?
Le jeûne semble avoir des effets sur la santé et influencer l’espérance de vie, et surtout l’espérance de vie en bonne santé, chez de nombreuses espèces. Le premier indice de ces effets a été mis en lumière dans les années 30 via une méthode de Restriction Calorique (CR).
Cette expérience est alors documentée par Clive McCay, biochimiste et gérontologue américain, qui montre que cette pratique de CR mène à une augmentation de la longévité des rats testés. Cette réalisation a été un déclencheur de la recherche dans ce domaine [4].
La restriction calorique revient à diminuer l’apport calorique “normal” d’un organisme en conservant les constituants nécessaire à sa vie en bonne santé (vitamines, nutriments, etc). Les expériences varient dans leurs pourcentages de réduction calorique.
La restriction calorique a des effets certains sur la longévité de la majorité des espèces testées, allant des levures aux mammifères [5;6;10]. Les effets observés sont extrêmement dépendants de facteurs tels que le taux de restriction, le sexe, l’espèce [6].
Elle est utilisée comme pratique médicale dans certains cas d’obésité par exemple avec la pose d’anneaux gastriques ou la consommation de leptine, parfois appelée “hormone de la satiété”.
A Okinawa, une pratique appelée Hari Hachi Bu [8], ou Hara hachi bun me, signifie “la règle du ventre à 80%” et correspond à une sensation de satiété à 80%, et non 100% lors des repas. Bien réalisé, ceci revient quasiment à réaliser une restriction calorique de 20% !
Parmi la population d’Okinawa, on peut trouver 4 à 5 fois plus de centenaires que dans la majorité des pays industrialisés, interprété comme un effet de leur diète par des chercheurs comme Bradley, Craig Wilcox et Makoto Suzuke. Cependant, cette statistique ne s’applique pas aux Okinawans plus jeunes (<65 ans) qui n’auront donc pas plus de chances d’être centenaires que le reste de la population. Ceci pourrait être lié à l’influence des habitudes alimentaires importées par les États-Unis par exemple, correspondant sur le plan temporel [8] à la culture des Japonais les plus jeunes.
Ces zones à forte concentration de centenaires sont appelées “zones bleues” et sont au nombre de 5 identifiées dans le monde. Parmi ces zones on retrouve Okinawa, Icarie en Grèce, Nicoya au Costa Rica, la Sardaigne en Italie et enfin Lomo Linda aux États-Unis. Les population centenaires de ces zones sont connues pour avoir un mode de vie différent de la “population moyenne” sur plusieurs points, de l’interaction sociale au régime alimentaire.
Chez la souris, la restriction calorique de long-terme sans carence a de nombreux effets bénéfiques comme la réduction de la résistance à l’insuline, des problèmes thyroïdiens liés à l’âge, le maintien de la plasticité des tissus adipeux avec la transformation des graisses blanches (WAT pour White Adipose Tissue) en graisses brunes (BAT pour Brown Adipose Tissue) [12;17] ainsi que l’amélioration de symptômes de déficience cognitive [9].
La restriction calorique serait une stratégie difficile à implémenter au sein de notre propre espèce, de par la sensation de faim qui en résulte, mais aussi du fait de l’importance sociale et culturelle de la nourriture. De plus, la restriction calorique rencontre des contre-indications vis à vis de certains groupes de patients présentant des contre-indications de santé.
Pour profiter des avantages de la restriction calorique en tentant de diminuer ses inconvénients, diverses stratégies sont étudiées.
Différentes méthodes de jeûne: des stratégies valables pour réduire l’impact du vieillissement ?
Le jeûne pourrait s’avérer utile pour profiter de certains effets de la restriction calorique, ou au moins de les comprendre. Nous nous intéresserons ici aux jeûnes intermittents, c’est à dire de 48h maximum. Le jeûne périodique, supérieur à 48h, est beaucoup plus rare et difficile à mettre en place.
Des expériences randomisées à grande échelle sont encore nécessaires au sein de la population adulte pour pouvoir mettre en valeur les avantages et désavantages précis de ces méthodes. Il est suggéré que ces expériences durent au moins un an afin d’avoir le recul nécessaire concernant des conclusions sur le métabolisme de long-terme ainsi que l’impact sur le vieillissement [28].
Les essais cliniques ne sont actuellement pas assez nombreux et présentent parfois de grosses lacunes, avec l’absence d’un groupe contrôle, le temps de l’expérimentation, le nombre de participants, les mesures effectuées, etc.
Jeûne d’un jour complet, Whole-day fasting (WDF):
Le jeûne complet consiste à pratiquer un jeûne de 24 heures régulièrement (une fois par semaine par exemple). Cette méthode semble difficile à mettre en place à cause de la sensation de faim qui en résulte, et de nos modes de vie. Une proportion importante d’abandons est documentée.
Jeûne en jour alterné, Alternate day fasting (ADF):
Le jeûne en jour alterné revient à couper complètement l’apport en nourriture un jour sur deux, et manger librement l’autre jour.
Au même titre que le WDF, l’ADF est une méthode difficile à tenir sur le long terme, mais potentiellement moins que la restriction calorique quotidienne. L’ADF permettrait de traiter l’obésité par exemple, en entraînant un déficit d’énergie supérieur à une restriction calorique modérée, selon une expérience de 8 semaines (puis 24 semaines de suivi non supervisées) avec 29 participants randomisés au départ et 21 en fin d’expérience [13;14].
Cette méthode est assez difficile à implémenter dans certains cadres de vie, l’alternance peut être remplacée par des jours fixes au long de la semaine.
Le jeûne en jour alterné modifié, ou Modified Alternate-Day Fasting
Le jeûne en jour alterné modifié consiste à jeûner totalement ou consommer jusqu’à environ 500-600 calories, soit 25% de l’apport calorique “normal” sur une période d’un ou deux jours par semaine. Il n’y a pas de restriction en dehors de ces jours de jeûne. Un exemple de régime alimentaire sur ce principe est le régime 5:2. 5 correspond au nombre de jours d’apport en nourriture “normal” et 2 aux jours de restriction calorique.
Ce type de jeûne peut s’avérer utile et permettrait une gestion plus aisée du poids, afin de continuer à en perdre de façon stable sur le long-terme [14;28].
Time-Restricted Feeding, l’alimentation en temps restreint
La pratique du jeûne intermittent, ou Time-Restricted Feeding (TRF) en anglais, consiste à réduire la fenêtre de temps durant laquelle la nourriture est consommée durant la journée.
La fenêtre en question peut aller de 1h à 12h suivant les méthodes. À titre d’exemple, une forme commune de TRF consiste à jeûner sur une période de 16h, puis manger sur une période de 8h. En mangeant son dernier repas à 20h et en sautant le petit déjeuner, on arrive à une période de jeûne de 16h vers midi.
Cette méthode a l’avantage d’être relativement facilement adoptée et semble pouvoir apporter des bénéfices à ceux qui l’ont expérimentée (peu d’abandons dans les études comparé aux autres méthodes d’IF, soit environ 10% contre 20%).
Les effets du TRF sont démontrés chez de nombreuses espèces [15]. Cette stratégie pourrait être une alternative à la restriction calorique, car même si l’impact de cette pratique varie grandement entre espèces, cette pratique induit certains effets de la restriction calorique : diminution du LDL cholestérol et des triglycérides (chez l’humain) [16], une diminution des taux de glucose et d’insuline, souvent une perte de poids.
Le TRF pourrait également entraîner une diminution de facteurs inflammatoires (comme IL-6 et TNF-α) chez certaines espèces [16], mais les données pour l’humain sont trop limitées pour conclure.
Même si les données manquent pour l’assurer, il semble qu’un jeûne d’au moins 10-12h apporte des bénéfices non présents dans les fenêtres de TRF moins longues [16].
Mimetics diets : mimer l’action du jeûne sur l’organisme
Il existe un domaine de recherche qui s’intéresse à l’induction des effets bénéfiques de la restriction calorique et du jeûne volontaire. Ceci offrirait la possibilité de réaliser des tests cliniques plus précis, plus faciles à mettre en place, ceci sans modifier et dépendre du mode de vie des participants. Cette approche permettrait donc d’implémenter des traitements directement au sein des population en cas de succès.
Plusieurs options sont envisageables pour ces stratégies de mimétisme, comme la les traitements médicamenteux, et la thérapie génique directe ou visant le microbiote intestinal.
Ces méthodes auraient l’avantage de faire profiter une grande partie de la population des effets bénéfiques de la restriction calorique sur le vieillissement et ses pathologies associées [18] . Cependant, il semble également enviable de former la population aux problématiques de nutrition et de santé dans notre société de plus en plus sujette à la “malbouffe” et à la sédentarité.
Enfin, il sera peut être possible d’améliorer les effets “naturels” des méthodes de restriction calorique et ainsi d’avoir un impact bien plus significatif sur le temps de vie en bonne santé.
Metformin, resvératrol et rapamycin [17] sont des candidats, en particulier la rapamycine qui influence le circuit mTOR, que nous verrons plus loin. Cependant, il est bon de garder le sens des proportions : même avec un médicament et les effets complets de la restriction calorique, le vieillissement sera toujours présent et l’impact de la CR n’est pas le même entre C.elegans et H.sapiens.
Pour conclure,
Nous avons vu dans cette partie le principe de restriction calorique ainsi que plusieurs stratégies de jeûne. L’impact de la restriction calorique sur la santé et les maladies liées à l’âge semble consensuel parmi la communauté scientifique. Les diverses stratégies de jeûne sont étudiées dans le but d’obtenir des résultats s’approchant de la restriction calorique du point de vue de la santé, tout en étant plus faciles à implémenter dans un mode de vie “classique” et sans subir continuellement une sensation de faim. Les méthodes sont variées et nous n’avons malheureusement pas beaucoup de données pour déterminer leur efficacité au sein de notre espèce, en particulier sur le long terme. Ceci est dû aux difficultés de recrutement de volontaires, à la constance tout au long de l’expérience, au contrôle…
Cependant plusieurs bénéfices semblent ressortir des séries d’expériences [19;20;21]. La longévité semble augmentée, à différents degrés suivant les espèces et les techniques employées. Des facteurs de risques sont diminués et les taux de certains biomarqueurs s’en trouvent grandement améliorés. Il faut prendre soin du contenu de son alimentation et favoriser une nourriture équilibrée, variée, riche en fibres. Concernant le Time Restricted Feeding par exemple, favoriser la nourriture riche en nutriments permet de diminuer la sensation d’avoir trop mangé tout en ayant un apport suffisant sur une fenêtre restreinte.
Mais pourquoi et comment ces méthodes influenceraient-elles notre longévité, ou rallongeraient-elles notre vie en bonne santé ?
C’est ce que nous verrons dans la prochaine partie de ce dossier !
Jeûne et vieillissement
Louis Kokkinis
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Louis is responsible for the vulgarization of articles and scientific watch for Long Long Life.
He is currently studying biology remotely at Aix-Marseille University. He also works on multiple biotechnology and engineering projects.
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Louis est responsable de la rédaction d’articles de vulgarisation et de veille scientifique pour Long Long Life. Il étudie la biologie à distance à l’université d’Aix Marseille. Il est également porteur de plusieurs projets de biotechnologies et ingénierie.
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Références:
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[2] Sailaja, B. S., He, X. C., & Li, L. (2015). Stem Cells Matter in Response to Fasting. Cell Reports, 13(11), 2325–2326.
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[5] Alirezaei, M., Kemball, C. C., Flynn, C. T., Wood, M. R., Whitton, J. L., & Kiosses, W. B. (2010). Short-term fasting induces profound neuronal autophagy. Autophagy, 6(6), 702–710.
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